J'écris ton nom, vasectomie (4/3) : Est-ce que c'est vraiment d'une vasectomie que je veux ?

C’est l’histoire d’une meuf de trente-deux ans qui a eu une vasectomie il y a un peu plus de quatre-vingt-seize heures et qui en peu plus de larver sur son canapé en attendant que ses poils repoussent alors elle décide de raconter comment ça lui est arrivé.

Est-ce que c’est vraiment d’une vasectomie que je veux ?

Voilà mi-juin. Juin ? Oui, juin, alors que mon rendez-vous était en mai. Je me suis pointée un matin de mai au cabinet à l’heure prévue mais avec une semaine de retard.

Je blâme entièrement mon Trouble de Déficit de l’Attention pour ça. Évidemment pour comprendre ce qu’il est passé ça a pas été simple, la secrétaire avait-elle noté mon rendez-vous avec mon morinom ? Mon nom d’usage ? Le premier prénom sur ma carte d’identité ? Cette fois-ci, l’amoureux qui m’accompagnait a lui aussi noté la date dans son agenda. Généralement nos TDAH respectifs se complètent et on s’en sort pas trop mal.

Je me souviens plus de la salle d’attente, je crois que j’ai pas attendu trop longtemps cette fois, en revanche je me souviens bien de la consultation.

Étant déjà sûre à cent pourcent de vouloir cette vasectomie, j’ai profité du délai de réflexion pour me concentrer sur une autre opération à cet endroit. Un truc pas si commun qui fait terriblement peur aux grands défenseurs de l’ordre genré. L’Orchidectomie Bilatérale ou, plus simplement, ablation des testicules.

J’aime bien ma chatte comme elle est. Je la connais, on s’entend bien depuis longtemps et même si les manières de la caresser ont évoluées avec le Traitement Hormonal de Substitution je sais non seulement comment elle fonctionne mais je sais aussi expliquer comment elle fonctionne. Donc j’ai aucune envie de la chambouler en la mettant à l’envers ni de devoir apprendre à m’en servir à partir de zéro.

Le seul hic là dedans, c’est les petites usines à testo qu’elle contient et qui m’obligent à prendre de quoi les mettre en sommeil. Comme je suis moyen motivée pour me cogner dépression (j’en ai déjà assez comme ça merci), thrombose et méningiôme j’ai choisi de pas prendre de bloqueurs de testo comme l’acétate de cyprotérone.

Ce médicament est prescrit dans trois cas :

  • Cinquante miligrammes par jour dans le traitement du cancer de la prostate.
  • Cinquante miligrammes par jour dans le traitement de l’hirsutisme « féminin »1
  • Cent miligrammes par jour dans le traitement de paraphilies.

Quand une meuf trans va voir un endocrinologue pour un traitement hormonal c’est par ça qu’il commence. Cent miligrammes d’acétate de cyprotérone par jour. Ça en dit long sur la manière dont on est considérées par le corps médical hein ? Et en plus c’est raccord avec le classement de l’Incongruence de Genre dans le même chapitre que les paraphilies par l’Organisation Mondiale de la Santé.

"Daffy Duck being insane"

Je marche pas dans leurs combines et je veux pas me plomber la santé alors que prendre suffisamment d’œstrogènes et de progestérone ça suffit à couper la production de testo sans choper une putain de tumeur au cerveau (fut-elle bégigne et résorbable.)

Encore faut-il que « suffisamment » ait la même définition pour mon corps, pour moi et pour ma généraliste. Or « suffisamment » pour mon corps c’est visiblement « trop » pour ma généraliste et aussi « trop » pour moi.

Sous-dosage de progestérone ça veut dire des testicules qui s’arrêtent pas de faire de la testo, ça veut dire moindre effet de la féminisation due aux œstrogènes et si en plus on fait du yoyo je vous raconte pas les sautes d’humeurs.

Sur-dosage de progestérone ça veut dire transpiration excessive et augmentation du risque du cancer du sein à long terme. Et mon corps pour qu’il se calme il me faudrait quatre cent miligrammes de progestérone par jour en comprimé à avaler, et ça mon foie il aime pas du tout donc pour le réconcilier j’en prends deux cents par jour en suppositoire. Le foie est content il voit rien passer, moi je flippe de choper un cancer et ma généraliste est pas au courant. On a des rapports très sains elle et moi à propos de mon traitement.

"David Bowie making « shhh »"

Après avoir réfléchi en ces termes, la solution m’apparaît assez clairement et me faire retirer les gonades c’est tout bénef. Déjà ça prendra moins de place dans les culottes, ensuite j’aurai plus à craindre une remontée de testostérone, je pourrai baisser les doses d’hormones et puis ça changera pas fondamentalement le fonctionnement de ma chatte.

Quand mon urologue me fait asseoir en face d’elle et qu’elle me demande si j’ai réfléchi, si j’en ai discuté avec ma compagne (Heu, pardon ?) et si je suis sûre de moi, j’exprime un franc « oui mais… » parce que ce serait quand même plus pratique de prévoir une orchidectomie maintenant que je sais que j’en veux une plutôt qu’une vasectomie puis une orchidectomie, j’ai pas envie de passer ma vie sur le billard.

Manque de bol ça la braque un peu. Elle aussi elle est incapable d’imaginer qu’une meuf trans ne veuille pas la Sacro-Sainte vaginoplastie qui lui donnera accès à un Sexe Certifié Féminin (un trou à pénétrer, en gros). Donc elle fait pas ça.

Bien sûr c’est pas sa faute, c’est l’Assurance Maladie qui acceptera jamais de rembourser, pour ce genre d’opération elle me dit qu’il faut passer par les médecins de l’Hôpital Civil, c’est eux qui se spécialisent dans les changements de sexe par contre elle sait pas si ils voudront retirer les testicules en conservant la verge.

Les mots « mon corps mon choix », « auto-détermination », « choix du médecin », « respect des patient⋅e⋅s » et « dépathologisation » résonnent dans ma tête alors que je réalise du même coup que je mets même des points médians dans mes pensées. Je me souviens aussi de ce psychiatre que j’ai entendu prononcer « délire pseudo-hermaphrodite » en parlant de meufs trans qui prenaient des hormones sans vouloir d’opération génitale. Acétate de Cyprotérone. Paraphilie.

Tant pis pour elle, je me contenterai de me faire couper les canaux déférents, je trouverai une solution pour mes gonades l’année prochaine. J’inviterai Lukas Dhont à assister à l’opération, peut-être ça le fera bander.

"Hermione Granger doing an eye roll"

On prévoit ça fin juillet, le vingt-quatre. Le jour de l’anniversaire de mon petit frère, est-ce que c’est symbolique ? Entre temps, je dois prendre rendez-vous chez un anésthésiste et faire ma préadmission à la clinique. C’est dans un mois.


Photo by Andrew Pons on Unsplash


  1. C’est officiellement une maladie d’avoir trop de poils. C’est d’ailleurs comme ça qu’on se fait rembourser nos séances d’épilation longue durée: Hirsutisme.

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