Guillaume découvre l'homophobie

Comme chaque année, les gens qui ont décidé de se reproduire se retrouvent confrontés aux catalogues de Noël pour leurs mini-moi et à la manière dont les représentations genrées les affectent.

Les pages bleues pour les garçons, les pages roses pour les filles et les mini-moi perdus dans ce découpage idiot qui sentent bien qu’ils vont avoir des problèmes dans la vie si ils demandent des jouets qui sont pas sur la bonne page.

Et ce qu’il se passe quand on est un papa blanc hétérosexuel pas sexiste pas raciste pas homophobe et qu’on a un enfant qui voudrait un jouet de page rose alors que lui il est sensé regarder les pages bleues, ce qu’il se passe donc, c’est qu’on découvre l’existence de ce concept jusqu’alors nébuleux et qui s’appelle l’homophobie.

Et alors on écrit un article qu’on appelle « Voyage au pays des sexistes et des homophobes » pour bien rappeler que ça se passe dans un endroit qui nous est tout à fait éloigné, autant qu’un pays étranger peut l’être, parce que nous on est pas sexiste. Et on est pas homophobe. Et nos proches non plus. C’est les autres qui le sont.

Le pays des sexistes

On est pas sexiste donc. Alors on commence par expliquer qu’entre gens de bien, on se partage naturellement les tâches ménagères sans genrer nos occupations.

Ok c’est monsieur qui bricole et jardine. Mais monsieur fait aussi le ménage.

Ok c’est madame qui fait à manger et qui fait la lessive. Mais madame discute aussi avec le garagiste.

Et ok, tout naturellement, on admet que comme dans tous les ménages, c’est madame qui en fait le plus.

Et comme ça, au détour d’une phrase, presque nonchalemment, on admet qu’on profite en moyenne de trentes minutes de temps libre et d’une heure et demi de temps professionnel en plus que madame par jour . Sans jamais s’interroger sur ce que ça implique en terme de développement personnel et professionnel. Mais on est pas sexiste. Les sexistes c’est les autres.

Le pays des homophobes

Comme on est pas homophobe non plus, on montre qu’on est très tolérant avec son petit garçon qui veut une poupée. Hé, on est tellement tolérant qu’on écrit un article pour le montrer au monde.

Et ok, on va lui offrir sa poupée, parce qu’on est pas homophobe.

Mais on va quand même soigneusement éviter de se demander pourquoi on a quand même répondu que les pages roses « c’est plutôt pour les filles » (sous entendu, « c’est plutôt pas pour les garçons ») la première fois qu’il nous a posé la question.

D’ailleurs, on est tellement pas homophobe que quand des gens insultent son petit garçon à grand coups d’homophobie on trouve ça « sociologiquement épatant à observer » tous ces cons qui ont le droit de s’exprimer après tout.

Tant pis si tous ces cons qui ont le droit de s’exprimer après tout ils défilaient dans les rues des grandes villes françaises pendant les mois qu’ont duré les interminables débats sur le mariage pour tous.

Tant pis si le nombres de témoignages d’actes LGBTphobes ne cesse d’augmenter depuis 2002 avec un pic quand tous ces cons qui ont le droit de s’exprimer après tout étaient en train de défiler.

On est pas homophobes nous alors l’homophobie apparaît soudainement en 2016 quand on fait un tweet à propos d’un gamin qui veut une poupée et c’est juste de la connerie qui ne nous atteint pas après tout.

Le pays des pas sexistes pas homophobes qui se posent des questions

Mais tout de même on sent qu’il y a un truc pas net.

Peut-être dans un moment de lucidité on se demande se qu’il se passera si on se balade en ville avec son petit garçon, qu’il transporte joyeusement sa poupée reine des neiges et qu’on croise un con qui a le droit de s’exprimer.

Peut-être ce con d’un autre pays va utiliser son droit de s’exprimer et traiter le petit garçon de PD. Nous on est pas homophobe, on est pas sexiste, on est pas con et tout ça ne nous atteint pas. Mais peut-être que ça risque d’atteindre notre garçon de 4 ans ?

Alors il faudrait peut-être faire quelque chose ? Mais on a un sacré travail à faire ? Par où commencer ?

Par où commencer ?

C’est par cette question, ironiquement, que la réflexion s’arrête. Les pas-sexistes, pas-homophobes sont démunis face à ces choses qui leur semblent tellement éloignées de leur pensée qu’ils ne savent pas par quel bout prendre le problème. Et Guillaume est loin d’être le seul à se réveiller un matin en découvrant les oppressions.

La première étape c’est d’arrêter avec l’idée saugrenue que vivant dans une société sexiste, raciste, homophobe, validiste et j’en passe, on peut y échapper.

Les sexistes c’est pas les autres. Les homophobes, c’est pas les autres. Les racistes, c’est pas les autres non plus. Et ils sont pas juste cons.

Cette étape évite de s’imaginer détaché de ces considérations et aide à prendre conscience qu’on peut décemment pas lâcher « pour être honnête, elle en fait plus que moi., comme dans la plupart des foyers. » après avoir dit qu’on est pas sexiste, ou « c’est vraiment épatant à observer » en parlant de réactions homophobes qui tuent des gens.

Les sexistes, les racistes, les homophobes, c’est nous1.

C’est déjà difficile de se défaire de ses réflexes oppressifs quand on subit une oppression. S’en défaire alors qu’on en profite directement ça l’est encore plus. Alors il n’y a aucune chance que ça nous arrive par hasard, grâce au miracle de l’absence de réflexion sur ces sujets.

L’étape suivante c’est de lire et d’écouter les gens qui subissent les oppressions qu’on tente d’abolir2.

Ça permet de se rendre compte que ce qu’on prend pour de la liberté d’expression est en fait une autorisation tacite donnée aux agresseurs pour s’en prendre aux populations discriminées.

Et ça évite aussi à ces gens qui subissent des opressions de passer tout leur temps militant à répéter ad nauseam la même rengaine à chaque privilégié plein de bonne volonté qui passe.

Une fois qu’on en est là, normalement on a commencé à ouvrir les yeux et à se remettre en question.

Un indice pour savoir qu’on est sur la bonne voie c’est qu’on a arrêté de croire que les blagues sont juste des blagues. On a peut-être aussi pris conscience de toutes ces excuses qui nous servaient à en faire moins que madame à la maison et on a commencé à mettre en place des stratégies pour une répartition plus équitable.

Et peut-être aussi on a commencé à se brouiller avec des gens qu’on connait depuis longtemps et qu’on imaginait pas-sexiste, pas-homophobe ou pas-raciste. Parce que tout le monde n’apprécie pas la remise en question de la même manière.

Enfin, l’étape d’après c’est qu’il n’y a pas d’étape d’après. On a mis le doigt dans un long cheminement de questionnement et de remise en question qui doit être poursuivi à chaque instant.

Parce qu’on a un sacré travail à faire. Mais qu’on a enfin commencé.


  1. D’ailleurs au sujet du racisme et de certains passages de son article, je soupçonne Guillaume d’avoir au mieux un grand angle mort à ce sujet, au pire… pire, mais je veux pas me faire taxer de procès d’intention alors j’ai pas développé. [return]
  2. N’allez pas vous imaginer que je sors ces réflexions de mes fesses de gars blanc éclairé. Ça fait des années que j’écoute, que je lis, que des féministes m’accordent de leur temps pour m’expliquer et me recadrer (et elles ont pas fini de le faire). Une grande partie de ce post a d’ailleur été tiré des réflexions autour de ce fil twitter. [return]