Sortir la crypto de « nos » milieux

Ce matin j’ai eu l’occasion d’assister à une discussion sur Twitter qui avait rapport à l’organisation d’un atelier de crypto1 à destination des personnes « qui militent dans un groupe ou une orga et qui dois communiquer sur des actions politiques avant et pendant des manifs. »

Un organisateur de « cryptoparties » « concurrentes » s’est immédiatement insurgé, prétendant que Le Reset est « en train de foutre en l’air tout notre travail en 4 tweets » allant parler de passer pour des black block, de ne pas être pris au sérieux, d’avoir des ennuis « avec une certaine presse. »

Selon lui, il faudrait éviter tant que possible de passer pour des terroristes aux yeux du ministère de l’intérieur, se faire le moins subversif possible pour disposer de relais dans la presse et cibler ce qu’on perçoit comme étant « le grand public. »

Ce n’est ni plus ni moins que porter aux nues la dépolitisation de la lutte pour le droit à la vie privée. Et je n’ai pas peur de dire qu’il s’agit à mon sens d’une posture visant à se donner bonne conscience.

« Le grand public » nous dit qu’il n’a rien à cacher et tout l’enjeu de le sensibiliser à ces questions est de lui faire admettre qu’il aurait quelque chose à cacher face à un gouvernement hostile ce qui est loin d’être chose gagnée et ce qui explique à mon avis l’absence d’engouement général autour du chiffrement des communications.

Il faut dans un premier temps prouver qu’un gouvernement hostile en viendrai à cibler « le grand public » puis trouver ce qu’il pourrait cibler.

Or le cas du « grand public » est représenté par l’exemple de la famille Michu et parfois plus spécifiquement de Madame Michu. Le nom est évidemment choisi pour faire « ménagère blanche de moins de 50 ans » et comment la famille Michu, des blancs hétérosexuels de classe moyenne, avec des opinions politiques moyennes, pourrait-elle être subversive aux yeux d’un gouvernement hostile ?

Il existe cependant des populations différentes, qui ne se reconnaissent aucunement dans l’ensemble « grand public » et qui ont beaucoup plus à caindre du gouvernement actuel qui leur est déjà hostile.

Il s’agit des populations LGBT les plus marginalisées. Il s’agit des populations racisées. Il s’agit des militants qui organisent les luttes politiques au sein de ces populations. Il s’agit des militants politiques d’extrême gauche, les antifa, les anarchistes, les anti-capitalistes.

Ces milieux sont déjà face à un gouvernement hostile. Ces milieux ont déjà des choses à cacher. Et ces milieux ne vous ont pas attendu pour se poser certaines questions.

Les cryptonerds et la posture du sauveur

Je disais plus haut que dépolitiser la lutte pour le droit à la vie privée est une posture visant à se donner bonne conscience.

Elle permet en effet de s’agiter, d’organiser des choses, de faire échos chez nos potes cryptonerds et quand « le grand public » ne nous regarde pas comme le messie qu’on pense être à ses yeux on peut tranquillement décider que c’est parce qu’il est ignorant et qu’il faut l’éduquer plus fort.

On devient celui sait et celui qui fait, face aux masses moutonnantes ignorantes et inactives.

C’est là qu’intervient le constat « Il faut sortir la crypto de nos milieux. » et c’est là que le bât blesse.

Ce n’est pas la crypto qu’il faut sortir de « nos » milieux. C’est les cryptonerds qui doivent sortir du puit de suffisance qu’ils confondent avec un piedestal.

Ce n’est pas un hasard si Jean-Michel Cryptoparty a une dent contre Le Reset. Il s’agit d’un hackerspace inclusif qui se tient à La Mutinerie, « un lieu féministe, par et pour les meufs, gouines, bies, trans’, queers, participatif et ouvert à toutEs. »

Pourquoi une population qui organise des luttes pour sa survie irait écouter quelqu’un qui ne connait pas les enjeux dont il est question, qui n’est pas menacé par le pouvoir en raison de sa seule existence et qui, en dehors du militantisme cryptonerd, passe une partie non négligeable de son temps à cracher sur les luttes du milieu qu’il essaye d’évangéliser ?

Pour être efficace, les cryptonerds doivent en premier lieu s’intéresser aux autres luttes, en saisir les enjeux et s’y allier. Sans ça, ils ne pourront que faire face à leur inutilité en regardant les autres avancer sans eux.