Il y a peu, Virginie Despente a donné une interview aux Inrocks sur sa vision du livre numérique en tant qu'autrice.
L'interview est lisible ici : Virginie Despentes : “Je crains les facilités qu’offre le numérique: si on veut censurer une page, on l’efface des liseuses”, de mon côté je vais me contenter d'en reprendre certains passage pour les nuancer un peu.
En effet, en lisant l'article la première chose qui m'a frappé c'est que Virginie Despentes semble croire qu'Internet est déjà le Minitel 2.0 que certains veulent le faire devenir (Amazon, Facebook, Apple, Google, les gouvernements qui refusent d'imposer légalement la neutralité du net ou qui font des lois spéciales internet, les 4 plus gros FAI français, etc… La liste est très longue)
Si ses craintes sont tout à fait justifiées puisque tout ce qu'elle cite existe déjà, il nous reste un espoir puisque leur application n'est pas (encore) systématique. Malheureusement, elle ne semble pas au courant de l'existence d'alternatives (en tout cas rien n'est mentionné.) et c'est bien là le seul problème de cette interview.
Nous ne sommes plus propriétaires de nos livres.
Mais à présent j’achète et lis souvent les romans français contemporains sur iPad. […] Davantage que la fin du livre papier, je crains les facilités qu’offre le numérique : si on veut censurer une page, on l’efface dans toutes les liseuses. Si on veut retirer un roman, on l’efface dans toutes les liseuses, etc.
Enfin le livre digital ne se prête pas. Ne s’offre pas.
D'emblée on apprend qu'elle lit sur iPad, la tablette la plus privatrice existante mais aussi la plus populaire. Ailleurs il ne semble y avoir que Sony et Kindle (Amazon.) Bref, trois grand fans de DRMs qui réduisent à leur minimum les droits des consommateurs.
Et effectivement, sur ces plateformes là, la censure est possible. Les plateformes connectées permettent à Apple, à Amazon ou à Google d'effacer un ou plusieurs livres de toutes les tablettes d'une seule pression sur un bouton.
Apple a ainsi breveté le KillSwitch qui leur permet d'effectuer cette manipulation. Google l'a déjà fait en supprimant des applications malveillantes (mais rien ne les empêche d'avoir leur propre définition de "malveillante") et Amazon est allé jusqu'à supprimer deux ouvrages de Georges Orwell (dont 1984, ironiquement) de tous les Kindle qui le possédaient.
De même qu'il est impossible de prêter un livre acheté sur ces plateforme ni même de le donner un fois qu'on l'a lu. Le transfert de licence est impossible.
Sauf chez Amazon qui permet de manière complètement idiote de "prêter" un livre électronique. Le fichier est toujours là, mais vous ne pouvez plus l'ouvrir tant qu'il est prêté. Un peu comme si vous faisiez une photocopie d'un de vos livre puisque vous mettiez l'original sous clef dans un coffre chez vous. En prêtant la photocopie, vous donnez aussi la clé du coffre à l'emprunteur.
Le format numérique n'y est en revanche pour rien, le problème se trouvant dans les "systèmes de gestion de droits numériques" (les DRMs) et se retrouve dès que vous achetez un livre qui en contient. (C'est la même chose avec les films ou les "MP3" achetés légalement.)
Tous ces soucis disparaissent dès qu'on utilise des liseuses et des fichiers qui respectent les standards et dépourvu de DRMs. Vous pouvez par exemple acheter une liseuse qui lit les ePub (exit le Kindle donc) et sans activation en ligne (exit le Kobo de la Fnac) comme par exemple une Cybook de Bookeen.
Vous voila capable de lire et de partager vos livres sans crainte de les voir disparaître.
Les ouvrages peu vendeurs ou controversés seront bannis.
Admettons que Kindle, Sony et Apple se partagent le marché des tablettes. Je ne sais pas si ça les dérangera d’accepter quelques “niches”, pas forcément. On ne peut pas dire qu’actuellement les textes expérimentaux, la poésie ou les essais exigeants trouvent vraiment leur place non plus… […] S’ils réussissent à démolir la librairie et les éditeurs, ils publieront des textes qui se vendent, pas des textes qui font débat. […] J’ai tendance à croire qu’ils feront subir aux romans ce à quoi on a déjà assisté avec le cinéma américain : il faudra des livres pour la famille, que toute la famille peut lire.
Là dessus je suis tout à fait d'accord. On ne peut malheureusement pas attendre de ces grosses boites de promouvoir la diversité, les expériences, les opinions critiques. Mais il ne faut pas s'arrêter là.
Le numérique a ceci de formidable qu'il permet de contourner toutes les barrières parmi lesquelles on trouve les éditeurs et les distributeurs.
Oui, certaines œuvres numériques ne se trouveront jamais sur Amazon ou iTunes, tout comme certaines œuvres physiques ne se trouveront jamais à la Fnac ou chez Virgin. Mais là où il est compliqué de devenir disquaire ou libraire et que ces derniers sont tout de même soumis à un impératif de rentabilité (ne serait-ce que pour payer le loyer des locaux), sur internet chacun peut ouvrir "pignon sur rue" et partager largement ses œuvres favorites et un lien vers l'endroit où soutenir l'auteur.
Les auteurs peuvent se passer d'éditeurs, les éditeurs peuvent se passer de distributeurs, le budget marketing peut fondre à vue d'œil et une œuvre qui serait restée confidentielle faute d'avoir pu être distribuée dispose de l'occasion de gagner en notoriété en ligne.
Le Minitel 2.0, pas encore.
Si il est important de soulever les problèmes posé par certaines technologies (comme l'a fait Virginie Despentes), il est aussi important (voire plus, je vous laisse trancher) d'informer les gens de l'existence d'alternatives non-problématiques (comme ne l'a pas fait la journaliste)
"Le numérique" en soit ne pose aucun problème, c'est ce que l'on en fait qui peut en poser. Et force est de constater que les solutions les plus visibles et accessible au tout public ne sont de loin pas les plus respectueuses de la liberté.